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Bernard-Henri Lévy et le sang contaminé (2) : d’une « obscure affaire » à un « imbroglio politique »

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Analyse de détails des excuses paradoxales de Bernard-Henri Lévy aux victimes du sang contaminé.

Bernard-Henri Lévy a réagi (voir le texte intitulé « Mise au point » à ce lien) au billet précédent de ce blog, où je remettais en contexte sa présentation du scandale du sang contaminé dans son dernier livre L’Esprit du judaïsme : le polémiste en fait un complot antisémite dont Laurent Fabius aurait été la cible. BHL présente ses excuses aux personnes contaminées et à leurs proches. Il « regrette » avoir utilisé le terme « obscure » pour qualifier l’affaire du sang contaminé car » ce mot a été « mal compris » ». Il annonce retirer du passage ce terme lors d’une réimpression du livre. Dont acte.

Précisons ses excuses. En utilisant ce terme, BHL affirme n’avoir parlé que du « traitement médiatique de l’histoire, le retour d’un imaginaire obscur aux commentateurs eux-mêmes ». Il pensait à « l’imbroglio politique que d’aucuns se sont efforcés d’y ajouter et qui n’eut pour effet que d’obscurcir un scandale sanitaire sans précédent et terrible ». Il ne songeait pas un instant « à nier le calvaire des victimes, puis des familles de victimes, auxquelles rien ni personne ne rendra jamais vraiment justice ».

Il y a donc selon lui d’un côté les familles de victimes et les victimes, « auxquelles rien ni personne ne rendra justice » et de l’autre, « d’aucuns », qui se sont efforcés d’ajouter « l’imbroglio politique » au « scandale sanitaire sans précédent et terrible ». Au milieu, des commentateurs qui ne voient pas l’imaginaire obscure de l’affaire. Il n’est pas sûr que le terme « imbroglio » soit plus adéquat que celui d’ « obscure affaire » : en effet « imbroglio » signifie selon le Larousse une « situation confuse et d’une grande obscurité ; affaire embrouillée », c’est-à-dire, une… obscure affaire. Mais le changement d’expression permet au moins à BHL d’extraire les victimes de cette responsabilité et de présenter l’affaire comme un « scandale sanitaire sans précédent et terrible », le terme de « scandale » impliquant une indignation face à des responsabilités humaines.

Pourtant, la distinction entre les victimes « auxquelles rien ni personne ne rendra justice » et des personnes (« d’aucuns ») responsables de l’imbroglio politique pose problème. Car si Laurent Fabius, et avec lui Georgina Dufoix et Edmond Hervé, ont été poursuivi-es et jugé-es par la Cour de justice de la République, tribunal d’exception, c’est bien parce que des victimes ont porté plainte, que des associations (l’association des polytransfusé-es, Act Up-Paris, puis, un peu plus tard, l’association Stéphane et Laurent, l’AFH, et d’autres) se sont mobilisées pour que les responsabilités politiques soient jugées pénalement. Elles sont donc responsables du volet politique de l’affaire, que BHL appelle « imbroglio », et voyaient dans ces procès de politiques non pas une occasion d’ « obscurcir un scandale sanitaire », mais bien au contraire d’y apporter toute la lumière en pesant les responsabilités de tous et toutes.

Les excuses du polémiste reposent donc sur une séparation entre des acteurs, antisémites, et des victimes, passives, confrontées à la fatalité de l’injustice. Or, les victimes n’ont pas été passives, et ne se sont pas résolues à ce que « rien ni personne ne leur rend[e] justice ». Elles ont demandé réparation, et exigé une recherche des causes. Ce sont elles, le moteur des procès. Qu’advient-il des excuses de BHL, qui ne semblent valables que si les victimes n’agissent pas, quand la réalité historique dément ce postulat et qu’il est évident que les victimes et leur famille ont participé à ce qu’il appelle maintenant un « imbroglio politique » ? On ne le saura pas.

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Les excuses de BHL à l’égard des victimes sont donc ambigües, d’autant qu’il maintient ses accusations d’antisémitisme. C’est même par là qu’il commence : « je vois dans la façon dont certains ont voulu y [=dans l’affaire du sang contaminé] impliquer, à toutes forces, Laurent Fabius la remontée d’un refoulé antisémite. Sur le fond, je ne retire rien. »

Premier problème, tout en affirmant ne rien retirer au fond de son livre, BHL, de fait, modifie son accusation. Dans son livre, L’esprit du judaïsme, BHL fait de l’affaire elle-même, donc de tous ses acteurs, une resucée antisémite1. Dans ce passage, il implique « certains », sans les nommer précisément : cela implique qu’il y ait tout un pan de l’affaire qui ne soit pas antisémite. C’est très différent et mériterait des développements, mais le polémiste se contente de signaler, contre toute évidence, qu’il maintient sa position.

« Certains » ont voulu impliquer « à toutes forces » Laurent Fabius. « À toutes forces » implique qu’il n’y avait pas lieu de poser la question de sa responsabilité : BHL explicite ici ce qu’il sous-entendait dans son livre et que le président de la Licra n’a pas hésité à soutenir : Fabius a été injustement accusé. C’est bien pour cela que « certains » qui ont tenu, « à toutes forces » qu’il soit poursuivi, sont forcément antisémites. Se pose donc à nouveau la question : les victimes et leurs proches qui ont poursuivi Fabius en font-ils partie ?

Le raisonnement de BHL mériterait au moins deux justifications. La première pour montrer qu’il n’y avait aucun élément pour incriminer Fabius, sans quoi le critère d’identification de l’antisémitisme, vouloir « à toutes forces » un procès, ne marche pas. On verra que tel n’est pas le cas dans le quatrième billet de ce dossier. Rappelons en attendant un des éléments de l’accusation : le compte-rendu de la réunion interministériel du 9 mai 1985 qui montre que des instructions ont été données pour retarder la mise sur le marché d’un test de dépistage du laboratoire Abott pour favoriser celui, français, développé par Pasteur ; ce document montre aussi que le premier ministre en avait connaissance. Cette décision, qui impliquait de priver les centres de transfusion sanguine d’un outil de dépistage des lots contaminés, n’a pas été suffisante pour condamner Laurent Fabius, elle l’a été pour le poursuivre.

L’autre justification attendue de BHL serait qu’il montre où est l’antisémitisme dans les démarches qui ont poussé les victimes, leur famille, les associations qu’elles ont créées ou qui les défendaient, à poursuivre les ministres concerné-es. Ce sera l’objet du troisième billet consacré à ce sujet, qui remettra les victimes au cœur de l’affaire. En attendant, posons-nous une simple question. Où est la haine des juif-ves, même inconsciente, dans l’exposé des motifs qui conduisent Agnès et Patrice Gaudin, parents de deux enfants hémophiles morts du sida, à aller jusqu’au bout et à poursuivre les ministres : exiger l’égalité de traitements des citoyen-nes face à la justice, même quand ils et elles ont été ministres ; dissuader ceux qui voudraient intentionnellement faire de même et assurer la stabilité sociale ; combler les vides juridiques, permettre, via l’enquête, une recherche des causes qui invite à repenser le système pour en corriger les erreur2 ? Posons-nous une autre question, simple. Si c’est par antisémitisme que Fabius a été poursuivi, que penser de la mise en accusation de Georgina Dufoix et de la condamnation d’Edmond Hervé ?

Manif d’Act Up-Paris contre Georgina Dufoix en 2013 : l’association fait le lien entre ses récents propos hostiles au mariage pour tous et le scandale du sang contaminé. Photo : Tom Craig.

Si BHL ne justifie pas son argumentation, il convoque cependant des preuves de l’antisémitisme dont Fabius a été la cible, jusqu’en 2015 : « cf. ces Unes de journaux d’extrême-droite représentant l’ancien Premier Ministre en vampire au nez crochu et aux griffes sanguinolentes ; cf. cette visite en Iran, des années plus tard, où l’on vit la presse du régime des mollahs s’emparer de ces dessins et les reproduire à grande échelle ; cf. ces tracts de campagne électorale distribués dans les boîtes aux lettres et qui, bien avant que le socialiste George Frêche lui trouve une « tronche pas catholique », le présentaient comme coupable, forcément coupable, d’une nouvelle version du tristement fameux « crime rituel » imputé depuis des millénaires aux Juifs. »

Il faut évidemment condamner l’antisémitisme dont Fabius a été la victime. Pour le reste, ces exemples ne prouvent en rien que le scandale du sang contaminé n’ait été un complot antisémite contre l’ancien premier ministre.

Les exemples sont donnés sous le mode de l’allusion, sans référence précise, mais présentés comme connus de tous grâce à un usage de démonstratifs : « ces Unes de journaux d’extrême-droite », « cette visite en Iran, des années plus tard », « ces tracts de campagne électorale . Le procédé sous-entend que le lectorat connait, que tout le monde connait ces exemples. Il évite ainsi une analyse précise, rigoureuse : puisque tout le monde est censé savoir de quoi BHL parle, pourquoi s’embêter à sourcer précisément ses références ?

La rigueur intellectuelle3 n’est pas le sujet de ce billet, mais on pourra cependant faire remarquer que l’allusion et l’imprécision ne sont sans doute pas le meilleur moyen pour lutter contre l’antisémitisme et en comprendre avec justesse les ressorts. D’autant qu’il est question, ici, des motivations des personnes qui ont voulu que Fabius soit poursuivi en justice, parmi lesquelles celles et ceux qui ont été contaminé-es et leur famille, à qui BHL présente par ailleurs ses excuses.

Car, à moins que le polémiste n’ait des sources inédites, ni les journalistes d’extrême-droite, ni ceux du « régime des mollahs »4, ni les directeur-rices de campagne électorale responsables de tracts antisémites contre Laurent Fabius, ni Georges Frêche, ne sont à l’origine des plaintes contre les trois ministres concerné-es, donc de « l’imbroglio politique ». Que des journaux d’extrême-droite, des tracts électoraux ou certains journalistes iranien-nes exploitent de façon antisémite le scandale du sang contaminé est condamnable, et doit être combattu ; mais cela n’implique en rien la réduction du volet politique du scandale à un complot antisémite contre Laurent Fabius.

A moins que le polémiste ne sous-entende que les victimes, familles et associations qui ont porté le volet politique de l’affaire ne l’aient fait sous l’influence, ou en étant complices, de la presse d’extrême-droite (comme on le verra dans un billet ultérieur, cela a sérieusement été dit par des sociologues, au mépris de toute réalité historique), d’une partie de la presse iranienne, de tracts électoraux démagogues et antisémites trouvés dans leur boîte aux lettres ou de Georges Frêche ? Une telle hypothèse semble invalidée par la séparation que semble faire ensuite BHL entre victimes passives et acteurs antisémites décidés à poursuivre Fabius, mais comme on l’a vu, cette séparation ne résiste pas à l’analyse historique.

Cette hypothèse impliquerait par ailleurs que Mitterrand (qui a demandé une révision constitutionnelle pour que des ministres puissent être jugé-es pénalement en connaissant parfaitement les conséquences pour Fabius, Dufoix et Hervé), que les parlementaires qui ont voté cette révision constitutionnelle, que la chambre d’accusation de la Cour de justice, tribunal d’exception qui a déclaré recevables les plaintes contre les ministres, bref que toutes ces personnes et institutions sont, elles aussi, antisémites (mais alors pourquoi ne pas les nommer dans la mise au point de BHL?) ou sous l’influence ou complices de la presse d’extrême-droite, d’une partie de la presse iranienne, de tracts électoraux démagogues et antisémites trouvés dans leur boîte aux lettres ou de Georges Frêche.

La mise au point et les excuses de BHL sont donc paradoxales. D’un côté, il affirme ne rien modifier sur le fond, mais en réalité change la nature de son accusation : ce n’est plus le scandale qui est une resucée antisémite, c’est l’usage fait par certain-es. Que croire ? D’un autre côté, il s’excuse auprès des victimes de l’expression « obscure affaire », les dédouane du soupçon d’antisémitisme, mais ses excuses valent-elles pour les personnes concernées qui ont milité pour que les ministres soient poursuivi-es ? Rien ne permet de trancher.

En attendant une éventuelle mise au point sur la mise au point, la confusion qu’entretient BHL sur cette question depuis la sortie de son livre et son intervention télévisée rendent indispensable une clarification sur le scandale du sang contaminé que je continuerai en suivant le plan suivant :

– Première partie : une « obscure affaire » (voir l’article à ce lien)

– Deuxième partie : un « imbroglio politique » (voir l’article à ce lien)

– Troisième partie : la réalité d’un combat citoyen (voir l’article à ce lien)

– Quatrième partie : non, Fabius n’a pas été injustement accusé (voir l’article à ce lien)

– Cinquième partie : et la lutte contre l’antisémitisme dans tout ça ? (voir l’article à ce lien)

1Rappelons qu’il y évoque avec enthousiasme le parcours de Laurent Fabius jusqu’à son mandat de premier ministre, « jusqu’à ce qu’une obscure affaire de sang contaminé où il est difficile de ne pas voir la resucée des accusations de crime rituel qui furent l’un des grands classiques de l’antisémitisme traditionnel, ne vienne lui brûler les ailes à petit feu ». L’affaire du sang contaminé est en soi une répétition au goût du jour d’une accusation antisémite : ce passage du livre de BHL accuse bel et bien les victimes qui ont porté plainte.

2Agnès et Patrice Gaudin, Par amour et par devoir, édition Fixot, 1999, pages 173-174.

3Chacun-e pourra se faire son opinion personnelle de la rigueur de BHL à l’égard de ses sources en lisant le début de L’Esprit du judaïsme quand il aborde les raisons qu’il aurait de ne pas commencer son livre par l’antisémitisme : « comme l’ont dit la plupart des rabbins, sages et autres décisionnaires qui inspirent ce livre (ou, s’ils ne l’ont pas dit, c’est qu’ils le pensaient si fort que cela allait sans dire), la dernière chose pour laquelle le Juif a été fait est d’entrer par cette querelle qui est, à la fin des fins, une querelle des antisémites avec eux-mêmes. ».
On rappellera aussi l’affaire Jean-Baptise Botul, philosophe imaginaire inventé pour un canular que BHL cita le plus sérieusement du monde dans un de ses livres (voir le détail de l’affaire à ce lien).

4En visite en Iran en juillet 2015, le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius a été très fortement critiqué par des personnes qualifiées de conservatrices par les articles que j’ai trouvés sur le sujet, par exemple dans ce billet du blog « Nouvelles d’Iran » du journal le Monde (voir à ce lien), donc non pas par toute « la presse du régime des mollahs ». Dans un article du Nouvel Observateur, on donne la position du ministre de la santé iranien : il y a bien une querelle juridique à ce sujet entre la France et l’Iran, même si aucune plainte n’a été déposée. Cependant, affirme Seyed Hassan Hashemi, « Laurent Fabius est une personnalité internationale » et « il n’est pas dans l’intérêt du pays de soulever cette question maintenant ». Une fois de plus, BHL ne pêche donc pas par excès de précision quand il dit que toute la presse du régime des mollahs a été antisémite.

Il néglige par ailleurs de préciser qu’entre deux-cents et trois-cents iranien-nes ont été contaminé-es par des lots sanguins exportés par les laboratoires français Mérieux, après leur interdiction de diffusion sur le territoire national. Cette information n’excuse en rien l’antisémitisme de certaines des caricatures qui ont accompagné ces critiques, mais elles permettent de comprendre pourquoi la question du sang contaminé fait irruption lors de la visite de Fabius. J’en reparlerai plus en détails dans le dernier billet de ce dossier.

Image à la Une : Par Itzike (Travail personnel) [CC BY-SA 3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)], via Wikimedia Commons


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